JO 2024. Carte blanche à Benoît Heimermann : « Pourquoi tant de haine ? »

Cinquième des cartes blanches offertes à un écrivain et publiées dans L'Édition des Jeux, notre magazine 100 % numérique consacré aux Jeux olympiques : Benoît Heimermann.

Dans le cadre des Jeux olympiques de Paris 2024, Ouest-France a demandé à des auteurs renommés de rédiger une carte blanche sur les Jeux olympiques, chroniques publiées dans notre magazine numérique spécial Jeux olympiques : « L'Édition des Jeux. » L'écrivain journaliste Benoît Heimermann, nous a adressé cette chronique.

« L'époque est à l'excès. À l'intolérance aussi. Certes, le Baron Pierre de Coubertin n'a rien d'un saint. Toutes ses idées ne méritent pas d'être gravées dans le marbre. Et les accusations dont on l'accable ne sont pas toutes sans fondement. Ses contempteurs sont légion qui le tiennent, tout à trac, pour un raciste patenté, un misogyne forcené, un colonialiste échevelé. Histoire d'alourdir son passif, les mêmes soulignent, non sans ironie, que les deux mantras qui font sa réputation – « L'essentiel est de participer » et « Plus vite, plus haut, plus fort » – non contents d'être (parfaitement) contradictoires ne lui appartiennent en rien. Le premier étant revendiqué par l'évêque Ethelbert Talbot et le second par le père Henry Didon. Notre détrousseur d'aphorismes fut-il seulement le premier à remettre les joutes antiques au goût du jour ? Pas sûr.

D'évidence la coupe est pleine. Sauf qu'à trop vouloir souligner ses tares, les ennemis du Baron finissent forcément par caricaturer la vérité. Celle, par exemple, qui établit que bien que d'extraction royaliste, Coubertin était d'abord un républicain avide de changements – le fondement même de sa mission rénovatrice. Misogyne ? Il l'était, mais ni plus ni moins que le progressiste Émile Zola qui, lui-même, appréciait en priorité les femmes « conciliantes et dévouées ». Colonialiste ? Ni plus ni moins, là encore, qu'Albert Londres grand pourfendeur d'injustices qui, néanmoins, chantait les louanges de « l'empire des outre-mer ». Au bout du compte, le rénovateur des Jeux finira même par admettre l'innocence du capitaine Dreyfus et à s'élever (son journal de voyage fait foi) contre la ségrégation des noirs aux États-Unis.

Coubertin était d'abord un utopiste et un idéaliste. Son allégeance en fin de parcours (un an avant sa mort !) envers le pouvoir nazi est impardonnable. Mais il ne fut pas moins un passeur inspiré et un pédagogue exemplaire qui, avant bien d'autres, considéra le sport comme un instrument de cohésion et d'éducation – sans compter ses évidentes vertus prophylactiques. Cent vingt-huit ans plus tard, son œuvre que l'on sache est toujours d'aplomb et quelques-unes de ses intuitions avec elles. Existe-t-il d'autres manifestations de par le monde qui, à ce point, rassemblent ? Sans doute l'idée de faire entrer Coubertin au Panthéon n'est-elle pas opportune (de Gaulle : « ce n'est tout de même pas Jean Moulin ! »), mais mérite-t-il d'être cloué au pilori pour autant ? L'organisation des Jeux à Paris aurait pu, aurait dû, sonner l'heure de l'absolution (du moins partielle). Non sans amertume, on remarque que c'est exactement l'inverse qui se passe. Preuve, une fois encore, que l'époque se complaît dans l'excès. Dans l'intolérance aussi.»

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