Yvan Bourgnon : "Je vais devoir accepter de prendre des risques"

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Suite et fin du témoignage d'Yvan Bourgnon, qui tentera en 2026 de réaliser le premier tour du monde en solitaire à bord d'un multicoque, à contre-courant des vents et courants dominants. Première partie de l'interview à retrouver ici (lien hypertexte).

Comment abordez-vous la préparation mentale et physique pour ce défi ?

Il faut arriver à un état d'esprit où on accepte qu'on va se faire mal. J’ai connu ça plusieurs fois dans le passé donc je suis habitué, mais j’aime me mentaliser longtemps à l’avance, et anticiper que dans cette tranche de vie-là, je verrai moins mes enfants et ma famille. Que je serai complètement focus sur ce défi, que quand je serai en mer, je serai à 110% de mon potentiel, et que je vais devoir accepter de prendre des risques. C’est une mentalisation qui se prépare à l'avance et que je fais seul, je n’ai pas de préparateur mental. 

Concernant la préparation physique, je n’ai plus 25 ans. J’en aurai 55 en 2026, donc il me faut une préparation physique plus avancée que ce que je faisais avant. Je me donne un an pour revenir dans une forme olympique et attaquer la saison 2026 au top. Mais au-delà de la préparation physique et mentale, il y a aussi la recherche de sponsors qui prend beaucoup de temps, même s’il y a déjà plusieurs pistes.

Justement, comment abordez-vous la recherche de sponsors pour un défi aussi unique ?

Ce n'est pas facile d'en trouver parce que ce projet peut leur faire peur. Ils peuvent estimer que c’est un défi dangereux, que je risque ma vie, que le bateau va casser et ne va pas revenir. Ces facteurs sont toujours impressionnant pour un nouveau sponsor qui arrive dans la voile, mais aujourd’hui les bateaux sont devenus très costauds, et il ne faut pas se focaliser sur les deux échecs. D’autres ont essayé dans le bon sens, comme Thomas Coville ou François Gabart, et ils ont aussi cassé pas mal de matériel. Ça prouve que ce n’est pas parce que je pars dans le "mauvais sens" que ça va forcément casser, le risque est présent dans les deux sens et quel que soit le record.

Ce qui est intéressant dans mon défi pour un sponsor, c’est qu'il représente un budget raisonnable, parce qu’on parle de 2,5 millions d'euros par an pendant 3 ans. C’est à peu près la moitié d’un budget pour un skipper du Vendée Globe. De plus, l’avantage significatif ici est que le sponsor sera tout seul, contrairement au Vendée Globe où il est noyé parmi 40 bateaux. Il sait donc qu’on va parler de lui avant, pendant et après le record, son exposition est inévitable.

Enfin, on peut aussi recevoir beaucoup d’invités à bord du trimaran IDEC (8 environ), et faire venir des invités ou des clients sur un bateau qui vient de battre le record du tour du monde garantit une expérience assez incroyable !

"Dans la voile, l’expérience est le cocktail le plus important"

Ce défi a déjà été réussi plusieurs fois en monocoque…

Sur ce parcours entre Brest et Brest, 5 monocoques ont réussi à relever le défi entre les années 1980 et 2004, date à laquelle Jean-Luc Van Den Heede a établi le temps de référence de 122 jours. Les monocoques ont toujours été habitués à naviguer contre le vent, on sait depuis les années 1960 que ces bateaux naviguent sans problème contre les grosses vagues. En revanche, ça ne fait pas aussi longtemps qu’on sait qu’un multicoque peut également bien naviguer face au vent, et qu'il remonte autant au vent qu’un monocoque. Les multicoques ont beaucoup souffert dans les années 1980 et 1990 d'un manque de fiabilité, puisqu'on en a vu beaucoup se disloquer. Il y a donc cette appréhension de se dire qu’un multicoque est moins armé, mais on a oublié qu’à la fin des années 1990 et 2000, on a réussi à fiabiliser complètement ces multicoques. Aujourd’hui, leur taux de fiabilité est assez similaire aux monocoques, et ils sont bien plus rapides. Je devrais donc battre le temps de référence en monocoque sans problème, et il existera alors un temps de référence monocoque, celui de Jean-Luc Van Den Heede, et un temps de référence multicoque. Si on observe aujourd’hui tous les grands records du monde à la voile, c’est le seul record qui n’a pas été fait, c’est la seule ligne qui n’existe pas. Il va bien falloir que quelqu’un mette son nom un jour !

Vous avez évoqué la montée de gamme importante des multicoques ces 20 dernières années. Auriez-vous pu tenter çe défi il y a 20 ou 30 ans ?

Non, parce que je considère justement que les multicoques ne sont prêts que depuis 20 ans pour ce genre d'aventure, et parce que personnellement, je ne suis prêt que depuis 7 ou 8 ans. J'ai vécu beaucoup d'aventures extrêmes pendant 8 ans, ce qui m'a permis d'emmagasiner de l'expérience et de la confiance. Plus globalement, ce sont 30 années d’expérience qui me rendent prêt pour ce défi.

Une carrière dans la voile ne fonctionne pas pareil que dans d’autres sports. Pour du ski extrême par exemple, les skieurs ont tous entre 25 et 35 ans, et dévaler une pente de ski extrême à 55 ans serait compliqué. Dans la voile, c'est le contraire : l’expérience est le cocktail le plus important, surtout dans des conditions extrêmes. Plus on a d’expérience, plus on va pouvoir anticiper et tenir dans le temps, d'où l'expression "vieux loup de mer". C'est assez similaire aux sports d’endurance comme l’ultra-trail où les meilleurs ont souvent 40 ans. Dans la voile, c’est peut-être 50 ou 60. On peut prendre l'exemple de Francis Joyon, qui a réussi à gagner la Route du Rhum à 63 ans, ou celui de Jean-Luc Van Den Heede qui a encore gagné une course à 73 ans. À 55 ans, je pense que je peux encore être au top de mon art.

"La voile souffre d'un manque d'aventuriers. Pour oser tenter des aventures risquées, il n'y a plus personne"

Ce défi peut-il inspirer la prochaine génération de navigateurs ou d'aventuriers ?

Ça serait chouette ! Aujourd’hui, je trouve que la voile souffre d'un manque d’aventuriers. On a eu ces 10 dernières années une incroyable rentrée de nouveaux talents de skippers de course au large, tels que Yohann Richomme ou Sam Goodchild. On voit avec le Vendée Globe plein de jeunes qui débarquent et qui sont très bons, mais ce sont plutôt des techniciens, des ingénieurs, des architectes navals. Pour oser tenter des aventures un peu risquées et ouvrir de nouvelles voies, ou même refaire des voies existantes qui sont un peu dangereuses, il n'y a plus personne. C'est propre à la voile, parce qu'à titre de comparaison, dans la haute montagne, de plus en plus de gens veulent faire l’Everest, peut-être même un peu trop. 

Ceci dit, certains sillonnent encore un peu les mers, comme Yann Quenet en ce moment, qui est en train de repartir pour faire un tour du monde sur un monocoque de 4 mètres. Il est d'ailleurs un aventurier hors normes, mais ce genre de personnages est en voie de disparition.

Vous avez souvent fait allusion au Vendée Globe. Quel regard portez-vous sur cette édition 2024/2025 ?

Je me passionne énormément pour le Vendée Globe ! J’anime une chronique journalière sur les réseaux sociaux, où je raconte le Vendée Globe de manière un petit peu décalée, vue de l’intérieur avec un avis très "skipper". Je trouve ça passionnant, parce qu’il y a plusieurs histoires avec les compétiteurs d’un côté et les aventuriers de l’autre. Cette année, on a encore été gâtés même s’il y avait un peu moins de bateaux aux avant-postes qu'à la dernière édition. En 2020-2021, c'était complètement fou parce qu’il y avait à quelques jours de l’arrivée encore 6 ou 7 bateaux qui pouvaient gagner. C'était moins serré cette année, mais il s’est quand même passé beaucoup de choses, il y avait beaucoup de concurrents, ils seront plus de 30 à l'arrivée. C’est impressionnant d’avoir réussi à aligner autant de bateaux sur la ligne de départ, et surtout d'en avoir autant à l’arrivée. 

On voit aussi que la voile féminine au large se développe énormément, avec Violette Dorange et d’autres. Des femmes d’exception commencent à sortir du lot et ça me fait bien plaisir. On peut s’en réjouir parce que, bien qu'il ait toujours été accessible aux femmes, ce sport souffrait d'un manque à ce niveau dans les années 2000. Là, depuis 7 ou 8 ans, on voit vraiment une montée en puissance, il y a un accompagnement de qualité et les filles sont de plus en plus intéressées par la voile. Et c'est tant mieux, on se régale !

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