François Gomez : « A Tarbes on en a assez d'être un club qui forme pour les autres »
01/09/2025 12:11 PM
Doyen des coachs de LFB, François Gomez, qui avait bâti en 2022/2023 à Tarbes un effectif 100% français, revient sur les départs massifs des Françaises (Salaün, Chery, Touré, Fauthoux, Johannès, Williams…) à l'étranger. Faut-il s'en inquiéter ? L'entraîneur de Tarbes ne botte pas en touche.
On parle beaucoup de la fuite des talents à l’étranger chez les garçons. L'intersaison a aussi été agitée chez les filles. Faut-il s'inquiéter ?
On a vécu une période où les filles partaient et puis on a vécu une période où les filles sont revenues. On a eu pendant deux saisons toutes les meilleures joueuses françaises. A 90%, elles étaient chez nous. Elles repartent. C’est la loi de l’économie. Quand on perd Marine Fauthoux, Marine Johannès, Iliana Rupert qui partent en plus au même endroit (Mersin en Turquie, Ndlr), on perd du lourd. On risque peut-être de perdre de l’attractivité dans les salles. Et encore je n'en suis pas convaincu. Par contre, ma vision pour l’avenir, c’est qu’on va de plus en plus vers ça, c’est-à-dire que nos gros talents sont d’abord attirés naturellement par l’étranger. Comme tous les gros talents d’Europe qui veulent toujours aller jouer à l’étranger, là où il y a des équipes qui jouent pour gagner et des équipes qui peuvent offrir des salaires plus importants qu’en France. L’autre inquiétude, c’est l’évolution de la WNBA qui demain peut devenir un championnat à part entière et qui pourra signer des joueuses sur des saisons complètes. Et on aura probablement des jeunes talents français très attirés par le rêve américain qu'on verra partir et qu’on ne verra plus sur notre territoire.
« La WNBA peut devenir un championnat à part entière qui pourra signer des joueuses sur des saisons complètes »
Le tableau n'est pas très optimiste.
C’est comme ça. Déjà, aujourd’hui, on a des joueuses américaines qui ne viennent plus puisqu’on leur signe des contrats sur des saisons complètes, quitte à ce qu’elles jouent 4 ou 5 mois. Peut-être que demain ils vont développer la WNBA. J’espère ne pas être un oiseau de mauvais augure, mais je vois les choses ainsi à moins que l’économie du basket français ne change. Salaün est partie à Schio en Italie contre qui on a joué. C’est un top 8 européen depuis des années. Nous on a fait des perfs avec Villeneuve, on n'était plus allé au Final Four depuis des lustres. Il y a comme ça à un moment quelque chose qui émerge, mais on n’est pas régulier. Schio est régulier, Prague aussi. Il n'y a pas que les clubs turcs. Ce sont des clubs qui offrent un projet et un salaire qui sont certainement supérieurs à ce qu’on peut offrir en France.
« Nos meilleures équipes ne sont pas meilleures que les meilleures équipes espagnoles, italiennes ou turques »
Pourtant, on dit que le championnat de France est le plus homogène en Europe.
C'est vrai, mais nos meilleures équipes ne sont pas meilleures que les meilleures équipes espagnoles, italiennes ou turques. On est homogène, mais les autres n’ont rien à nous envier par rapport à nos Top teams. Venise, Schio en Italie, Salamanque, Gérone, Valence en Espagne, c’est l’équivalent de ce qu’on a chez nous avec Bourges, Villeneuve-d’Ascq et Basket Landes. Mais on a un championnat très intéressant donc ça plaît aux filles.
« On a des talents. Il faut les faire jouer »
9 Françaises qui étaient aux JO jouaient en France. Elles ne sont plus que trois. Le niveau du championnat ne risque-t-il pas de baisser ?
Oui, car les meilleures partent. Les meilleures joueuses étrangères, même si on en a de très bonnes, elles ne sont pas en France, mais dans d'autres championnats. L’intérêt aujourd’hui pour les gens qui s’intéressent au basket féminin, c’est d’aller voir nos jeunes joueuses françaises. On a des talents. Il faut les faire jouer. On peut aller dans une salle française et voir de très bonnes joueuses françaises, jeunes, qui sont peut-être moins expérimentés, moins titrés que celles qui sont parties, mais qui vont offrir du spectacle parce que les gens viennent voir du spectacle.
Le risque, c'est que ces nouvelles pépites, Carla Leite ou Dominique Malonga, partent elles-aussi en fin de saison…
Bien sûr qu'elles vont partir à terme et très vite. J'entends déjà des clubs européens s’intéresser à Dominique Malonga. Et Carla Leite, si elle confirme ce qu’elle a montré chez nous, ce qu'elle va faire inévitablement, elle sera sollicitée par des gros clubs européens et elle partira.
N’auraient-elles déjà pas pu partir l'été dernier ?
Ça n’aurait pas été une bonne idée, ni pour l’une, ni pour l’autre. Il faut faire palier par palier. Carla rêve d’un grand club européen et de la WNBA. Elle ira parce qu’elle sait ce qu’elle veut et elle sait exactement ce qu’il faut faire pour y arriver.
Derrière ces deux joueuses, lesquelles peuvent éclore en 2025 ?
Il y a une médaillée d'argent à Basket Landes qui est arrivée d’Angers (Leïla Lacan). J’ai beaucoup d’admiration pour cette joueuse. Il y en a d'autres, notamment chez moi, à Tarbes, Jess-Mine Zodia qui est championne d’Europe U20. On produit quand même beaucoup de générations. Il faut suivre Alicia Tournebize qui est espoir à Bourges. Il y en a. Il ne faut pas s’inquiéter. Le basket français sort tout le temps des bonnes joueuses. Les plus anciennes ont intérêt à se méfier.
Vous qui avez l’habitude de former des joueuses, cette vague de départs vous impacte-t-elle moins ?
On m’a demandé si on n'avait pas à un moment servi d’exemple en offrant à des jeunes joueuses, à des jeunes Françaises des responsabilités, du temps de jeu. On a été, je pense, précurseur. Aujourd'hui, on ne l'est plus. Ce serait très prétentieux de dire que nous influençons les autres, mais les gens se disent que ça marche. On m’avait promis une rétrogradation il y a deux ans quand j’avais dit : « On prend que des joueuses françaises ! » On m’avait promis que je n'allais pas tenir et que j'allais descendre. Finalement, on a fait un beau championnat. Aujourd’hui, l’impact pour nous, c’est que les autres clubs deviennent aussi concurrents. Tout le monde veut les bonnes jeunes joueuses françaises. Mais c’est plutôt bien.
« J’ai trop de respect pour les joueuses pour penser qu'elles ne vont à Mersin que pour l'argent »
Quand vous voyez Mersin qui vient faire son marché en France en prenant trois joueuses êtes-vous agacé ?
Moi je n’ai pas de problème avec l’argent. C’est un métier qui ne dure pas longtemps. Il y a l’argent, mais pas que. Mersin veut battre Fenerbahçe et être champion Europe. Les Françaises n'y vont pas que pour l’argent. Elles y vont d’abord parce qu’elles retrouvent une culture. Il y a trois Françaises dans l'équipe. Elles se retrouvent quand même dans un contexte favorable. Ce n'est pas une Française isolée au milieu de trois Américaines et trois Turques. Dans un club qui a les moyens et dans un club qui veut gagner. Il y a aussi un projet. J’ai trop de respect pour les joueuses pour penser qu'elles n'y vont que pour l'argent.
Mersin n'a pas non plus une grande histoire…
Non, mais il était au Final Four la saison passée (4ème, Ndlr). Tout doucement, ça grimpe. Après, va-t-il devenir un grand club et s'installer comme Fenerbahçe ou va-t-il disparaître d'une saison à l'autre comme Cukurova ? Valence, en Espagne, avait été champion d’Europe avec Isabelle Yacoubou (en 2012, Ndlr) et l’année d’après déposait le bilan.
Si on vous suit bien, l’avenir du championnat de France, c’est un modèle à la Tarbes en formant des jeunes et en les lançant avant qu’elles ne partent à l’étranger.
C'est un raccourci, mais à Tarbes on en a assez d'être un club qui forme pour les autres. On voudrait pouvoir offrir un projet, des moyens, des salaires qui font que les joueuses ont envie de rester chez nous parce qu’on fait du bon travail, mais aussi parce qu’on veut gagner en France, mais aussi au niveau européen. Le projet des clubs français, c’est de travailler pour se rapprocher de la concurrence et pas s’occuper de nos jeunes pour qu’elles partent en Turquie gagner des sous ou en WNBA.
N’est-ce pas juste un cycle tous ces départs ?
Beaucoup de Françaises sont parties en Russie. C'était alors l'eldorado, mais aussi des titres qu'alors seuls les clubs russes pouvaient offrir. C’est à nous à répondre à la concurrence. Moi, je dois répondre à la concurrence de Villeneuve-d’Ascq, à celle de Bourges, de Lyon. Si demain on rentre vraiment dans le monde de la concurrence, peut-être que les joueuses vont rester chez nous.
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