
Charlie Dalin : « Gagner le Vendée globe, c'est le graal ! »

03/31/2025 08:30 AM
« Aujourd'hui, je suis l'homme le plus heureux du monde ! » Dès son arrivée aux Sables d'Olonne, le Havrais de 40 ans savourait une victoire qui lui avait échappé il y a quatre ans et qui a toujours semblé, inexorablement, lui tendre les bras cette année. Juste avant de prendre quelques semaines de congés, au bout du tourbillon médiatique qui lui a offert une nouvelle notoriété, il nous a accordé une heure pour débriefer la course. Et un peu plus encore.
Où s'est joué ce 10ème Vendée Globe ?
Je pense que la différence s'est faite à deux endroits, deux moments décisifs. Le premier dans l'océan Indien quand Yoann (Richomme) part au nord pour éviter la dépression et que, moi, je reste devant pour éviter le système dépressionnaire. Le second au large du Brésil quand je le redouble alors que nous sommes sous les orages, avec des vents instables qui compliquent la navigation.
A quel moment avez-vous pensé que c'était gagné ?
Seulement quelques minutes avant la ligne d'arrivée, quand les premiers bateaux spectateurs sont arrivés. J'avais encore en tête la dernière édition, en 2020, quand je pensais avoir gagné… Donc je refusais de trop me projeter, c'était aussi pour moi un moyen de rester concentrer sur la course jusqu'au bout, sur les manœuvres à faire. Parce qu'il peut tout se passer, à n'importe quel moment.
« Au large de la Bretagne, nous pouvons chavirer »
Que risquiez-vous vraiment en apercevant les côtes bretonnes ?
Vous pouvez chavirer, démâter… même s'il n'y avait pas beaucoup de vent, dans les têtes vous envisagez toujours forcément les scénarios catastrophes.
Sur la route de la gagne, quels furent vos plus gros moments de doutes ?
Le plus gros est intervenu quand on a passé le Cap Horn avec seulement neuf minutes d'écart. J'ai mal dormi, je suis très fatigué et dans la foulée je perds 100 milles en très peu de temps. Là, je me dis, merde… ça va être dur. Heureusement qu'il n'a pas réussi à passer avec le cyclone sinon il aurait pu garder sa vitesse plus longtemps.
Quel fut votre choix stratégique le plus payant ?
Rester à l'avant de la dépression dans l'océan Indien m'a permis de prendre un avantage de 400 milles sur Yoann. Ça a payé, mais j'ai pris des risques énormes. Et, sur la fin, en remontant dans l'Atlantique nord, je n'ai pas voulu trop m'écarter de sa trajectoire car je savais que dans ces conditions météo-là, j'étais potentiellement plus rapide que lui. Je n'avais aucun intérêt à prendre des risques. Je m'en suis bien sorti car, à force de petits décalages, je suis rentré dans l'Alizé avant lui pour conserver mon avantage. Mais même si nous avions été bord à bord à ce moment-là, mon bateau était de toute façon plus rapide.
Charie Dalin a conservé 400 Miles d’avance
Ça change quoi pour un marin de gagner un Vendée Globe ?
Quand on est axé sur les solitaires comme je le suis, c'est le Graal ! Surtout cette année avec 40 bateaux, le plateau était très relevé.
Entre 2020 et 2024, qu'est-ce qui a changé pour vous ?
En 2020, à cause de la crise sanitaire, il s'agissait seulement de ma deuxième course Imoca en solitaire. Je débutais, et je découvrais ces bateaux en cours de route, je continuais à apprendre beaucoup de choses. Il s'agissait de la première génération d'Imoca en grands foils donc on était tous un peu en période de défrichage, d'apprentissage par rapport aux réactions du bateau, savoir comment les utiliser au maximum de leur potentiel. Le tout dans une météo défavorable qui explique que je mets seize jours de moins quatre ans après.
« Avec ses deux foils, Sébastien Simon serait resté avec nous jusqu'au bout »
Est-ce la seule explication ?
On a aussi progressé sur les performances des bateaux, sur leur fiabilité. Au-delà de l'issue de la course, j'étais aussi sorti frustré en 2020 car j'avais dû faire plus de la moitié de la course avec un seul foil utilisable, le droit, donc le moins favorable pour remonter l'Atlantique. Sans capteur de mesure de vent, le pilote automatique était aussi moins efficace.
Perdre un foil en chemin, c'est ce qui est arrivé à Sébastien Simon…
Oui, mais lui a perdu le bon foil, le gauche, ce qui lui a permis de garder le contact. Mais il est clair qu'avec les deux, il serait resté avec nous jusqu'au bout.
Votre Imoca Macif peut-il encore aller plus vite ?
Oui, bien sûr, même si les gains seront forcément plus marginaux. L'objectif est de le rendre encore plus performant au bout du cycle de quatre ans qui doit nous amener avec lui vers la Route du Rhum en 2026.
« C'est grâce à Yoann (Richomme) qu'on a pu battre le record tous les deux »
Vous attendiez-vous à battre le record d'Armel Le Cléac'h ?
Absolument pas (rires). Je n'imaginais pas une course aussi rapide. Par rapport aux 74 jours d'Armel, eu égard à l'évolution des bateaux, je pensais qu'on pouvait s'approcher des 70 jours, entre 68 et 72, mais de là à faire moins de 65 jours, je ne m'y attendais vraiment pas du tout. Hormis dans l'Atlantique nord, nous avons bénéficié d'un enchaînement de conditions météorologiques favorables, avec des trajectoires toujours très tendues jusqu'à la fin.
De quel poids a pesé votre mano à mano avec Yoann Richomme dans ce record ?
C'est clairement grâce à lui qu'on a pu le battre tous les deux ! Sa présence m'a obligé à régler le bateau en permanence pour aller chercher les systèmes et aller le plus vite possible, sans aucune possibilité de se relâcher. Je lui tire mon chapeau parce que c'était son premier Vendée Globe.
Charlie Dalin sait que son record reste précaire
Que faudrait-il désormais pour que ce record soit battu?
Pour qu'il soit battu, il va falloir que les bateaux actuels continuent de progresser… et ce sera le cas, dès 2028.
Jusqu'où peut-on envisager de porter ce record ?
Il y a une limite à tout forcément. J'ai mis sur ce Vendée Globe à peu près le même temps qu'Orange II, un 33 mètres avec 16 hommes à bord, en 2002 (65 jours). Il a fallu vingt ans pour qu'un Imoca fasse le même temps et on peut imaginer que dans 25 ans on parvienne à faire le tour du monde en solitaire en 40 jours. Avec des bateaux volants presqu'entièrement, et les progrès techniques qui vont avec. Nonobstant l'édition 2020 perturbée par la Covid et des conditions difficiles, on gagne en moyenne 5 jours à chaque Vendée Globe. Donc, même si je peine aujourd'hui à l'envisager, en 2028, on sera sur 60 jours.
Les skippers gagnent 5 jours par Vendée Globe
Justement, pour 2028, envisagez-vous un troisième Vendée Globe ?
Pourquoi pas ! Je vais déjà me remettre de celui-ci, on verra après. Je commence à y réfléchir.
Après un tour du monde, comment aborde-t-on une course comme la Route du Rhum ?
A côté d'un Vendée Globe, la Route du Rhum, c'est plus un sprint qu'on est capable de faire en une dizaine de jours, qu'une course de fond. La gestion du bateau n'est pas la même, un peu comme si on passait d'un marathon à un 5000 mètres.
J'ai déjà gagné la New-York Vendée-Les Sables d'Olonne l'an passé en dix jours (3h et 44min), le bateau a donc montré qu'il était capable de gagner aussi la Route du Rhum. Le marin (sic) a déjà gagné (avec Yann Eliès sur Apivia), la Transat Jacques Vabre en 2019 (13 jours, 12 heures et 8 minutes), et a fini deuxième de la dernière Route du Rhum en 2022 à deux heures du vainqueur, Thomas Ruyant (sur Apivia en 11 jours, 19 heures et 38 minutes).
Vous avez parlé de cycle de quatre ans pour vous projeter jusqu'en 2026, qu'est-ce que cela signifie ?
J'ai signé un contrat de quatre ans en 2022 avec la société qui gère les projets de Macif avec deux gros objectifs en vue ; le Vendée Globe et la Route du Rhum.
Charlie Dalin lié à Macif
N'est-ce pas trop stressant de ne pas avoir plus de visibilité?
Dans un milieu où la précarité domine souvent, où la plupart des marins fonctionne d'une année sur l'autre, je suis déjà privilégié d'avoir un contrat de quatre ans. Nous avons de la chance d'être un pays, la France, où les courses au large sont très structurées et sponsorisées par des entreprises qui comprennent l'intérêt de la voile.
Je serais aux Etats-Unis ou dans beaucoup d'autres pays, je n'aurais pas d'autre solution que de trouver un riche mécène pour financer mes projets. Le système français, basé sur plusieurs classes de bateaux, permet de monter en puissance jusqu'aux courses au large qui rencontrent un grand succès populaire, notamment à travers les valeurs qu'elles véhiculent, et offrent beaucoup de visibilité aux sponsors.
Quel est le montant du budget pour effectuer un Vendée Globe ?
Je ne peux pas entrer dans les détails, mais je sais que les budgets sont beaucoup moins importants que pour une formation du Tour de France cycliste par exemple. Et les retours sur investissement sont toujours intéressants.
« Dans ma chambre, j'avais des posters de Franck Cammas, de Laurent Bourgnon, d'Yves Parlier, d'Isabelle Autissier… »
Entrepreneur, sportif de haut niveau, marin, architecte naval… qu'est-ce qui vous définit le mieux ?
En dehors des courses, mon quotidien s'apparente plutôt à celui d'un ingénieur et d'un sportif de haut niveau car je passe beaucoup de temps avec l'équipe pour le développement du bateau ; choisir la taille et la forme des voiles, etc. Je parle beaucoup avec les ingénieurs, les architectes du bateau, je passe énormément de temps derrière un ordinateur quand je ne suis pas sur l'eau pour faire des essais, que je ne me forme pas aux solutions météo, à la nutrition, à la préparation physique, etc.
Quel domaine préférez-vous ?
La partie navigation est la plus sympa. Sinon, en tant que technicien naval de formation, j'aime le côté développement du bateau. La conception est géniale, je l'ai vécue pour Apivia et Macif qui ont été faits pour moi. J'ai donc participé aux choix de la coque, du pont, du cockpit, des lieux de vie, des compteurs, etc. J'ai adoré faire ça, et sur le coup je me sens plus architecte que sportif.
Quels furent les marins qui vous ont donné envie ?
J'ai grandi au Havre où Paul Vatine (disparu en mer au large des Açores lors de la Transat Le Havre-Carthagène 1999, à 42 ans, Ndlr) était la figure locale. Dans ma chambre, j'avais des posters de Franck Cammas, de Laurent Bourgnon, d'Yves Parlier et d'Isabelle Autissier qui m'a beaucoup impressionné. Plus tard, j'ai lu le livre d'Ellen MacArthur, qui a fini 2ème du Vendée Globe en 2001 à 24 ans. Exceptionnel.
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