Simon Boisliveau, une œuvre née d'étincelles

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Le sculpteur Simon Boisliveau appartient à la nouvelle génération d'artistes pour lesquels le cheval est au centre de la démarche artistique. Il nous ouvre son atelier, entouré de sculptures qui expriment une soif de liberté et rendent hommage à ses racines circassiennes.

Par la lourde porte coulissante entrouverte parviennent les sons d'un martelage ou d'éléments métalliques jetés dans une caisse. Au seuil, pour s'annoncer, il y a une cloche au battant de laquelle est fixée une longue chaînette terminée par un klaxon à poire. On l'actionne… Quel boucan ! « Quand je travaille, j'utilise des outils bruyants donc j'ai des bouchons d'oreilles. Comme je mets la musique à fond, il faut ça ! », lance avec un large sourire Simon Boisliveau tout de noir vêtu. « Mon voisin, qui est souvent dans son jardin, me dit : "Quand tu es là, je le sais." ».

Pour l'heure, c'est la voix de Cesária Évora qui emplit l'espace. Pour un atelier où est travaillé le métal, l'endroit paraît bien « propre » et ordonné. « Quand je finis une sculpture, je range toujours mon atelier », s'empresse-t-il de dire, ayant perçu notre étonnement. Ce rituel marque une fin, et le début d'une autre quête.

Atelier aux mille souvenirs

Simon nous ramène vers l'entrée. C'est ici que trône un assemblage de meubles faisant office de comptoir sur lequel nous partageons un café à la bonne franquette. Au-dessus de nos têtes se trouve suspendu un gigantesque lustre en acier. L'artiste l'a réalisé au Haras national d'Hennebont (Morbihan) où les Cavaliers de l'aventure, troupe équestre créée par son père Bruno Boisliveau, se donnaient en spectacle.

Tout autour de nous, où que le regard porte, c'est un joyeux bric-à-brac, une brocante. Simon Boisliveau dit que c'est un « bourbier » (sic). De vieilles réclames sur plaque en émail côtoient des postes de radio des années 1950. Ici, une selle d'arme bien poussiéreuse, là une autre de voltige. Plus loin, enroulées dans une caisse, des guirlandes lumineuses qu'une simple visite de la fée électricité suffirait à éclairer. Ici un collier de trait auquel des chasse-mouches espagnols sont accrochés. Enfin, d'imposants éléments en acier, articulés, conçus à partir de récup'. « Ce sont les éléments d'un manège inspiré de Calder (sculpteur et peintre américain, NDLR), pour la ville d'Angers, que nous avons ensuite intégré dans un spectacle que nous avons joué au château d'Azay-le-Rideau en Indre-et-Loire durant trois années. »

Tout ici a une histoire. Tout se rapporte à un bout de vie et de cet inventaire à la Prévert se dégage beaucoup de poésie. « Cet atelier, c'est un peu mon cerveau, j'ai besoin d'être entouré de mes souvenirs (rires). »

L'atelier de Simon Boisliveau regorge de souvenirs. © Thierry Segard

Un acier poétique

Les pièces et chutes de métal, et tout l'outillage du sculpteur, occupent le fond de l'atelier rendu lumineux par de larges puits de lumière. Dans un coin, la forge, contre les murs, deux longs établis un peu encombrés. Ils tranchent avec celui situé au centre de cet espace sur lequel sont posées des sculptures de différentes tailles.

Toutes ont pu être admirées par le public de Cheval Passion, toutes, sauf une. « C'est une commande, un cadeau de mariage ! » Elle trône devant nous et représente Marie Barcelo et Pierre-Antoine Chastang, le commanditaire, dans un de leurs numéros. Ce couple d'artistes équestres a pris part l'an dernier aux Crinières d'Or. « Leur numéro, il est là », précise Simon en nous désignant des photos de ses modèles fixées au-dessus de l'un des établis. Il a eu carte blanche pour s'exprimer et puiser dans ses propres souvenirs d'enfant de la balle. « Ils me suivaient sur les réseaux et lorsque Pierre-Antoine a vu mon travail, il enest tombé amoureux. »

« J'avais depuis longtemps l'idée de ce cheval »

Simon baptise toutes ses œuvres. Pour celle-là, très aérienne, il a usé d'un subtil jeu de mots « Du m'aime pas », « ou sinon Just married  (rires) ». Elle voisine avec une sculpture moins gracile intitulée Equus caballus. Dans celle-ci, le sculpteur restitue avec force un mouvement de liberté du cheval frottant sa tête contre son encolure, geste maintes fois observé au pré lorsqu'on lui ôte son licol. Parmi les photos qui recouvrent ce pan de mur, beaucoup évoquent l'art taurin. On y voit notamment la torera Léa Vicens, dont il est fan. « Je la trouve superbe et elle a des chevaux magnifiques, dont je me suis beaucoup inspiré. »

La culture ibérique a engendré chez le sculpteur vendéen Doma, une pièce-maîtresse monumentale qui a fait sensation à Cheval Passion. « Je suis en train de la modéliser pour en faire de petits bronzes. » Celle-ci peut être considérée à ce jour comme son chef-d'œuvre. « J'en avais l'idée depuis longtemps de ce cheval qui tient tout seul avec les garrochas », une prouesse technique au service de la plastique. Simon Boisliveau se documente beaucoup avant de travailler la matière. C'est ce qui explique que dans ce pêle-mêle grand format, il y ait des vues d'ensemble et de détails comme un antérieur ou encore un pied et un paturon vus de face, de côté et de derrière. Ne se considérant pas comme un grand dessinateur, « mais je fais tout de même des croquis ». Simon s'appuie davantage sur des clichés.

Au nom du père et du fils

En prenant le recul nécessaire, certains sauront retrouver dans le travail de Simon Boisliveau un hommage, un écho à l'œuvre de son père. Disparu tragiquement en 2014, il a considérablement fait évoluer le monde du spectacle équestre dont il demeure une référence. « Il était hyper content que je me mette à toucher la ferraille, on a pu faire des créa de ouf ! » La première sculpture réalisée par Simon est un Don Quichotte. « Je l'ai offert à mon père pour l'un de ses anniversaires. »

En effet, l'ingénieux hidalgo créé par Cervantès était le personnage phare de Bruno Boisliveau. Il lui inspira un numéro mémorable. Tout s'explique. « Je l'ai perdu, il n'avait que 58 ans. Mais il y a des gens qui perdront leurs parents à plus de 90 ans, et qui n'auront pas vécu le quart de ce que j'ai pu partager avec lui. » Cet héritage créatif s'est ancré en Simon, qui le cultive à travers son médium en 3D. En témoignent notamment Le sanglierLa voltigeuseCheval marionnette. Ces œuvres ponctuent le travail de deuil vis-à-vis de cet artiste génial que fut son père. Désormais, il touche à sa fin. « Maintenant ça y est, je suis en train de partir sur des créa à moi mais en y mettant toute la « sensiblerie » (sic) qu'il m'a transmise. »

Les sculptures de Simon Boisliveau représentent le cheval dans nombre de ses postures. © Thierry Segard

Simon Boisliveau conserve imprimées dans ses rétines des années de spectacle équestre qu'il nous retranscrit. À cela s'ajoutent des idées, surgies de nulle part, auxquelles, mû par un irrépressible élan, il donne forme. C'est ainsi que Doma est née, à partir d'un dessin réalisé à la craie sur la dalle en béton de l'atelier, « histoire d'avoir un peu les proportions ». Doma, le premier jalon d'un chemin nouveau. « C'est aussi un clin d'œil à Gilles Fortier (Zarkam Company, NDLR) qui est un ami. »

« Je ne fais plus de cheval, je fais des chevaux »

Simon n'a pas suivi le moindre cursus en arts plastiques. « J'ai eu18/20 dans l'option arts plastiques au bac... Que je n'ai pas eu. Cette une bonne note. Pour moi, c'est mon bac (rires). » Il a un sens inné des proportions. Toutefois, il utilise un petit cheval en bois articulé posé sur l'établi qui lui permet de valider des attitudes justes. Son travail a enthousiasmé le public avignonnais auquel l'artiste a présenté huit sculptures, et vendu quelques-unes. « Il y en a que j'ai gardées, elles seront pour mes enfants. Je veux qu'elles restent dans la famille. Il y a comme un besoin de transmettre. »

En effet, Avignon était le lieu où chaque année son père dévoilait au public ses nouveaux numéros, lui, il est venu y présenter ses premières sculptures. « Je me suis vraiment trouvé à ma place. » Simon existe en tant que tel. Il est un sculpteur métal, comme il se définit lui-même, et non « le fils de » venu reprendre sur la piste l'œuvre paternelle interrompue. Son mode de création est tout autre désormais. Simon résume cela d'une formule : « Je ne fais plus de cheval, je fais des chevaux ».

L'artiste à l'œuvre

Dès qu'il a du temps libre, Simon vient à La Doucinière, ce hameau paisible perdu dans la campagne, retrouver son antre. Son statut d'intermittent du spectacle lui accorde de longues plages qu'il dédie à la sculpture. « Ce n'est pas encore ce qui me fait vivre, mais c'est mon objectif. » Il est temps de passer aux choses sérieuses. Simon ôte sa casquette, coiffe un bonnet, fait tomber le blouson pour s'équiper d'un épais tablier de cuir, de manchons et de lunettes de protection. Il se met à marteler sur l'enclume deux poignées en forme de gourmettes destinées à la caisse de transport de sa sculpture Du m'aime pas qui va bientôt quitter l'atelier pour rejoindre le Mas du Sire.

C'est au marteau qu'il a façonné une à une les baguettes d'acier composant son Equus Caballus. Un travail de martelage dantesque correspondant à des milliers de frappes. « Pour donner le galbe et créer des facettes sur chaque tige » avant de les souder au fur et à mesure de la base de l'encolure jusqu'aux dernières matérialisant la crinière en mouvement. « La tête à l'envers n'est faite que de petites chutes soudées entre elles. Je travaille beaucoup avec des matériaux de récup' parce que j'aime le principe. »

« La ferraille, l'acier, ça chante ! »

Tout en se prêtant à l'exercice de l'interview, l'artiste tourne autour de ses sculptures, les regarde, ses doigts filent sur le métal. À propos d'Equus Caballus, il dit : « Comme c'est de l'acier, ça rouille, alors je l'ai vernie ». Ce qui lui donne du brillant. En revanche, Liberté a un aspect mat. « Elle, elle est cirée, avec la cire de mes abeilles. » En effet, dans le pré situé de l'autre côté de la rue, Simon a installé ses ruches. « J'aime ce côté naturel qui m'évite de mettre un produit chimique dessus. Cela fait davantage ressortir les aspérités noires et des détails de la sculpture. » Ce traitement de surface bio a un effet anticorrosion. Toutefois, « il ne faut surtout pas les laisser en extérieur ».

Changement de registre avec le chuintement strident de la disqueuse qui mord la matière, couvrant la voix de la diva cap-verdienne, en produisant des gerbes d'étincelles orangées. « La ferraille, l'acier, ça chante ! » Simon va souder, il s'équipe d'un casque à mi-chemin entre celui d'un pilote de chasse et d'un scaphandrier, à moins que ce ne soit le heaume d'un chevalier des temps modernes. « Le cheval est un support tellement incroyable que pour le moment, je ne me vois pas allerfaire un écureuil ou un lapin. » Des projets de sculptures, l'esprit de Simon en foisonne. « Ma prochaine grosse sculpture, je vais la commencer au mois d'août. Là, je réfléchis à la manière dont je vais me la jouer. » Que représentera-t-elle ? Simon veut garder le secret, un indice toutefois, il s'agit d'un coursier fantastique en six lettres... Avec une tête de femme. On vous laisse chercher.

Dans son atelier, Simon Boisliveau fait chanter l'acier. © Thierry Segard

Découverte d'un monde nouveau

« Je sais ce qu'est l'art équestre, l'art du cirque, mais le milieu de l'art, je le découvre. Ce n'est pas simple, il y a des codes, il faut être dans la mouvance, etc. Il n'y a qu'un an que je communique sur mon travail poussé par Caroline Brisset (plasticienne reconnue, NDLR). » Heureusement, Simon Boisliveau a une bonne étoile. À quelques kilomètres de son atelier se trouve celui de Michel Bassompierre, sculpteur animalier d'envergure internationale, qui l'a pris sous son aile et lui prodigue de judicieux conseils.

Par ailleurs, des responsables de sites s'intéressent de près à son travail, parmi eux Jean-Marc Beaumier, le directeur du Haras national d'Hennebont venu le rencontrer à Cheval Passion. Une exposition dans ce haut lieu culturel de la Bretagne, tant lié à l'histoire de l'artiste, serait une perspective forte de symbole. Simon a pour mantra : « La vie est belle parce que c'est nous qui la faisons. » On comprend mieux qu'il ait toujours le sourire. À ceux qui cherchent à investir dans l'art et à soutenir de jeunes talents, intéressez-vous à Simon Boisliveau. C'est une valeur sûre dont la cote va grimper plus vite que le cours de l'acier qu'il sculpte.

Retrouvez les œuvres de Simon Boisliveau sur son site internet.

Les prochaines expositions de Simon Boisliveau

- Au Haras national du Pin (Orne), du 25 juin au 19 septembre.
- Au Salon Equestria (Tarbes), du 16 au 21 juillet.
- Aux Journées européennes du Patrimoine à Fondettes (Indre-et-Loire), 21 et 22 septembre, sous réserve.
- À la 10e édition d'Art sur Digue à Montaigu (Vendée), du 8 au 17 novembre.

Cet article est paru pour la première fois dans le numéro 630 de Cheval magazine.

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