Raphaël Géminiani, Le Grand Fusil, s'en est allé

Raphaël Gémininani, Le Grand Fusil s'est éteint, ce vendredi 5 juillet 2024, dans la Clinique de Pont-Château où il avait été admis, il y a quelques semaines. Il avait 99 ans. Personnage truculant, il a marqué de son emprunte, le monde du vélo (et pas uniquement le peloton professionnel !) presque huit décennies durant, en tant que coureur, directeur sportif, consultant, simple suiveur ou organisateur de cyclosportives.

Raphaël Geminiani est né, le 12 juin 1925, à Clermont-Ferrand où ses parents, fuyant Mussolini et le fascisme, se sont installés en 1923, avec leur deux enfants, Angelo (né en 1917) et Paule (née en 1921). Son père, Giovanni, né en 1893, coureur cycliste de Lugo (Émilie-Romagne), tenait une boutique de cycles qui fut incendiés par les milices. En Auvergne, il rentre chez Michelin en tant qu'ajusteur. Sa mère intègre les ateliers de filature de la même entreprise. Elle décède en 1931, peu après avoir donné naissance à Marie-Rose. Giovanni Géminiani ouvre alors son atelier de cycles, avenue Barbier-Daubrée à Clermont-Ferrand. La fratrie a donc toutes les facilités pour pratiquer le cyclisme. Pourtant, seul Angelo devient compétiteur. Raphaël préfère le rugby, qu'il pratique à l'ASM (l'Association Sportive Montferrandaise)…

© Presse Sports – Raphaël Géminiani s’en est allé à l’âge de 99 ans

Les débuts en compétition

En travaillant au magasin, il apprend la mécanique. « Pendant la guerre, je me suis mis à la compétition » précise-t-il. Et suivant les traces de son grand frère, se met – sérieusement – au vélo. Il prend sa première licence en 1943, à l'Amicale Cycliste Montferrandaise. Arrêté par la milice, en 1944, accusé d'aider la résistance. Emprisonné un mois durant, il sort au moment de la libération et retourne travailler avec son père. Mécanicien hors pair, il sait détecter et analyser tous les bruits du vélo. « Durant ma carrière pro, cela m'a bien aidé. »

Sur les courses cyclistes, il remporte de nombreux succès et multiplie les places d'honneur. Cela le mène jusqu'au "Premier pas Dunlop" 1943, où il bat un certain Louison Bobet, qui, plus tard sera son coéquipier, en équipe de France. C'est d'ailleurs ce dernier qui, à force de le voir attaquer à tout va, lui donne le surnom : "Le Grand Fusil".

Il passe pro chez Métropole en 1946, remportant, d'emblée une série de Grand Prix cyclistes.

Le Tour de France, le Giro et la Vuelta

Il dispute son premier Tour de France en 1947, avec le maillot gris à parement bleu de l'équipe Centre Sud-Ouest. C'est le premier Tour d'après-guerre ! Cependant, il doit attendre 1949 pour remporter sa première étape (la 19e, Lausanne – Colmar, 288 km). Il récidivera à six autres reprises et c'est sur La Grande Boucle qu'il se bâtit une solide réputation d'attaquant et de spécialiste de courses à étapes. Il est aussi et surtout un équipier de luxe.

En 1951, il termine second du Tour (derrière le Suisse Hugo Koblet) et Meilleur Grimpeur, mais pourtant, il accepte durant les trois éditions semaines du Tour, de servir Louison Bobet (vainqueur en 1953, 1954 et 1955). Comme il accepte, en 1952 de servir Fausto Coppi sur le Giro, en rejoignant, comme c'était possible à l'époque, la formation Bianchi. Le Campionissimo ramènent le maillot rose et Le Grand Fusil devient meilleur grimpeur. C'est le début d'un grande histoire d'amitié, à peine ternie par deux approches différentes du métier. Autant l'Italien pose les bases d'un entraînement rigoureux, autant le Français est un joyeux épicurien… Cette amitié se terminera le 2 janvier 1960, avec la mort de Coppi, des suites d'une malaria que les duettistes ont ramené de Haute-Volta (l'actuel Burkina Faso)…

En 1955, Raphaël Géminiani participe à sa première Vuelta, avec l'équipe de France dirigée par Sauveur Ducazeaux. La formation est ultra-dominatrice, Gilbert Bauvin remporte les deux premières étapes, tandis que Le Grand Fusil s'offre le classement général à l'issue de la cinquième étape. Mais face à la concurrence italienne et espagnole, il doit laisser sa place à un autre Français, Jean Dotto. L'Auvergnat finira troisième, en pouvant se targuer d'avoir porté le maillot de leader, sur chacun des trois grands tours !

En 1958, suite à la victoire de Jacques Anquetil, sur le Tour 1957, Raphaël Géminiani, se voit contraint de rejoindre l'équipe du Centre. Jouant sa carte personnelle, il termine 3e, laissant filer "L'Ange qui aimait la pluie", le Luxembourgeois Charly Gaul (maillot jaune) et l'Italien Vito Favero. C'est son dernier fait d'armes sur le Tour.

En 1954, il lance sa propre équipe, Saint-Raphaël Géminiani, avec ses propres vélo. Il en portera les couleurs jusqu'à sa retraite en 1960… Mal remis de la malaria, il décide de prendre sa retraite sportive, mettant un terme à quatorze saisons de professionnalisme.

L'après carrière

Il devient alors directeur sportif de Jacques Anquetil, qu'il va "diriger" durant toute sa carrière. « Si Jacques n'était pas vraiment favorable à mon arrivée en tant que Directeur Sportif de son équipe, nous avons bâti une relation de confiance, qui dépassait le cadre du cyclisme. »

Les deux hommes ont beaucoup travaillé le contre-la-montre, en étudiant les positions et le poids ou en jetant, empiriquement, quelques bases d'aérodynamique. « Il fut le premier coureur cycliste à porter une combinaison de soie, sur la route ! »

En 1977, Raphaël Geminiani dirige la dernière saison d'Eddy Merckx, le Canibale et demeure directeur sportif jusqu'à la fin de la saison 1986. C'est en effet, cette année-là qu'il prend en main l'équipe Café de Colombia Varta, participant à l'éclosion de toute une génération de coureurs colombiens.

Souvent présent sur les courses, notamment sur le Tour de France et sur les épreuves auvergnates, il n'a jamais rechigner à donner son avis – éclairé – sur le sport cycliste. Il a d'ailleurs signé de nombreux articles, notamment dans les pages de France-Soir. Il officia également comme patron de bar et restaurateur à Clermont-Ferrand.

Et puis, il organisera activement, dans les années 2000, sa propre épreuve cyclosportive, La Raphaël Géminiani. Élu au conseil municipal de Pérignat-sur-Allier (63), entre 1995 et 2001, il s'était éloigné "des affaires" depuis près de 10 ans. Vivant dans un EPHAD, il a été hospitalisé, début juin. Il s'est éteint à l'âge de 99 ans, sans avoir pu réaliser son dernier challenge, celui de battre le record de l'heure des plus de 100 ans…

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